Thomas Carrier-Lafleur is a Banting postdoctoral fellow and a lecturer at the University of Montréal. He is the author of L’œil cinématographique de Proust (Classiques Garnier), Une Philosophie du « temps à l’état pur ». L’Autofiction chez Proust et Jutra (Vrin/Presses of Laval University). He is a member of the editorial boards of Nouvelles Vues and Sens Public, and is also a member of GRAFICS, Figura, Les Arts Trompeurs: Machines, Magie, Médias (Deceptive Arts: Machines, Magic, Media), the Canada Research Chair in Cinema and Media Studies, the Canada Research Chair on Digital Textualities, and of the international research partnership TECHNÈS. His research focuses on the work of Marcel Proust, the 19th and 20th century French novel, the history of media from a literary point of view, the myths of modern literature, spatial production in the digital age and Québécois cinema.
Aussi désireux d’entendre ses harmoniques que de pousser les paradoxes propres à la figure hybride de l’écrivain-cinéaste, le présent article proposera une enquête sur les modes d’existence de l’œuvre d’un artiste qui a toujours su se placer à l’extrême pointe du contemporain : Jean-Luc Godard. Plus particulièrement, sera proposée une analyse, volontairement exploratoire, de Film Socialisme, œuvre à deux têtes en ce que le film de 2010 s’accompagne d’un livre, Film Socialisme : Dialogues avec visages auteurs, publié la même année. Ce redoublement du film par le livre, et inversement, est l’occasion de nous questionner, à l’heure du numérique, sur les fruits qu’est à même de porter la transmédialité, c’est-à-dire la capacité d’une fiction à investir plusieurs champs et supports. En ce sens, sera proposé un portrait de Godard non seulement en tant qu’écrivain-cinéaste, mais, de façon plus primordiale encore, en tant qu’artiste des médiations.
Le présent article, sous la double forme d’un scénario et d’une enquête, se veut une réflexion volontairement ouverte sur ce qui sera défini comme les « fictions du vide », sur leurs différents modes d’apparition et sur les diverses figures qu’elles sont en mesure de proposer. Le point de départ de l’enquête se construit depuis la reprise d’une pensée de Deleuze sur ce qu’il nomme la « petite forme » cinématographique, accompagnée d’exemples choisis dans la filmographie de Chaplin, de Lubitsch et de Mike Nichols. Le second moment de l’enquête sera littéraire, afin de suivre la trajectoire intermédiatique des fictions du vide et ainsi de rendre compte de leur capacité d’adaptation. Les œuvres considérées, pour des raisons différentes, seront À la recherche du temps perdu et Le Docteur Faustus. Ce parcours expressément bifurquant sera finalement l’occasion d’interroger la portée des fictions du vide en rapport avec l’acte même qui consiste à les interpréter.
Comment penser une philosophie de la nature en la rapportant à un individu existant ? Voilà le problème de ce texte. Mais d’abord, qu’est-ce qu’une philosophie de la nature ? Prenons l’exemple du jeune Schelling, celui de l’Introduction à l’Esquisse d’un système de philosophie de la nature : la philosophie de la nature s’y présente comme une «science nécessaire du système du savoir», une «physique, mais une physique spéculative» dont l’objet n’est pas tant l’organisation des corps tels que nous les percevons que les principes a priori que ces corps supposent.
Partant de la pensée hégélienne d'André Bazin sur l'histoire et l'esthétique du cinéma, le présent article souhaite étendre l'élasticité dialectique qui caractérise depuis ses débuts l'ontologie du septième art, en tentant de trouver une alternative entre l'illusion de la pureté et la nécessité de l'impureté. À partir d'une analyse volontairement ouverte du film À tout prendre (1963) de Claude Jutra, où le cinéaste québécois sera amené à dialoguer avec d'une part la poétique moderne de l'autofiction, et d'autre part la philosophie romanesque d'À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, il s'agira de définir le cinéma comme le médium de la coexistence.
En analysant la place que prend Honoré de Balzac dans l’oeuvre proustienne, cet article souhaite établir une comparaison stylistique entre l’auteur de la Comédie humaine et celui d’À la recherche du temps perdu. Le roman de Marcel Proust est riche des enseignements de l’entreprise balzacienne, ce qui ne veut pas dire qu’il ne tentera pas de la dépasser, au contraire. À l’aide du philosophe Henri Bergson, particulièrement avec son ouvrage Le Rire, sera ainsi expliquée la différence esthétique, voire poétique, entre les écrits de Balzac et ceux de Proust, le second reprenant le grand projet réaliste du premier pour le réfracter dans l’introspection créatrice de son héros-narrateur, ce qui fait de la Recherche une comédie humaine intérieure.
Cet article propose d’analyser deux aspects majeurs, et pourtant méconnus, d’À la recherche du temps perdu : d’une part, celui d’« imaginaire médiatique », d’autre part, celui de « dynamique du regard ». Tous deux sont propres au XIXe siècle français, espace-temps d’inventions majeures pour notre modernité culturelle et artistique. Le texte proustien, un pied dans le XIEe siècle et l’autre dans le XXe, apparaît ainsi comme un catalyseur et comme un passeur. Le « temps retrouvé » de la Recherche, c’est aussi celui d’un XIXe siècle rendu sensible par le roman, médiatisé par l’œuvre. Le déploiement et la floraison de ces deux thématiques (la première questionnant la problématique de la mondanité et l’autre celle de l’imaginaire de l’œil et de la vision) seront relevés de façon générale dans la Recherche, puis on proposera deux études de cas ― sur le journal et sur la photographie ― qui viendront les illustrer.
À la recherche du temps perdu raconte l’apprentissage du narrateur proustien, futur homme de lettres. Un parcours ponctué par d’innombrables déceptions pousse le héros vers le nihilisme. Ce sera ainsi jusqu’à la fin du Temps retrouvé. Cet enjeu des déceptions proustiennes sera d’abord étudié à travers le prisme de la formation littéraire du personnage, puis sous le signe de l’autofiction. C’est que les déceptions font tomber le narrateur dans une crise du sujet de laquelle il ne pourra sortir qu’en attribuant une nouvelle fonction de l’oeuvre littéraire, fonction qui sera nommée, quelques décennies plus tard, « autofiction ». Ce que l’on pourrait alors appeler « l’autofiction proustienne » pousse également l’auteur à user d’un autre concept que nous désignons par le terme de « montage identitaire », suivant une expression de Sophie-Jan Arrien et Jean-Pierre Sirois-Trahan, le « montage des identités », et à partir de la récente étude d’Anne Henry, La tentation de Marcel Proust.
Cette étude s’inscrit dans la lignée des travaux sur l’autofiction. L’approche méthodologique en est une d’intermédialité littéraire et cinématographique sous l’éclairage conceptuel de la poétique et de la philosophie. Les deux objets d’étude sont le film À tout prendre (1963) du cinéaste Claude Jutra et le roman À la recherche du temps perdu (1913-1927) de Marcel Proust, cité par le cinéaste à un moment clé de son long métrage.
Proust convie la philosophie, et plusieurs penseurs ont répondu à l’appel : Henry, Kristeva, Merleau-Ponty, Ricardou, Ricœur, Sartre et bien d’autres, dont Gilles Deleuze – aux travaux duquel ce livre est particulièrement attentif –, dans un premier temps, par son ouvrage Proust et les signes ; dans un deuxième temps, par ses deux écrits sur le cinéma, Cinéma 1 et Cinéma 2, respectivement sous-titrés L’image-mouvement et L’image-temps.
L’" image-temps " s’est justement construite à même la matrice proustienne, à partir de l’expression " un peu de temps à l’état pur ", formule qui précède le passage du Temps retrouvé que Jutra incorpore dans À tout prendre. Le nouveau rapport au temps que met en lumière l’image-temps deleuzienne est ainsi redevable à l’esthétique d’À la recherche du temps perdu. C’est aussi grâce à cette filiation proustienne que Jutra a fait d’À tout prendre un film d’image-temps.
Le présent essai s’emploie ainsi à démontrer qu’À la recherche du temps perdu est une autofiction, tout comme, par une secrète correspondance, À tout prendre, un film proustien donc, qui, par une remarquable inversion de la temporalité, révèle, philosophiquement, un côté Jutra de Proust et, radicalement, une commune expérience autofictionnelle du pouvoir créateur de l’art, seul capable d’engendrer le je véritable et la richesse surréelle de son monde.
À la recherche du temps perdu est l’histoire d’une crise identitaire, celle d’un sujet qui souhaite écrire, mais n’y arrive pas. Au Temps retrouvé, c’est la révélation finale : le narrateur a enfin compris certaines lois, qu’il devra observer et traduire avec son « télescope », c’est-à-dire avec son œuvre d’art entendue comme instrument ou comme machine. Ainsi, le personnage proustien est contraint à créer un dispositif original pour parler de soi, une nouvelle herméneutique du sujet, ce qui fait de la Recherche la première vraie autofiction avant la lettre. L’autofiction proustienne, par son travail sur notre « moi profond », combat la crise identitaire et le nihilisme pour proposer un nouveau montage des identités.