Comment penser l’espace numérique et rendre compte de son caractère à la fois structuré, mouvant et collectif ? Comment trouver un dispositif qui permet un dialogue ouvert, parvenant à saisir le sens des infrastructures numériques, sans les cristalliser en une essentialisation appauvrissante ? L'échange de courriels a semblé aux auteurs le moyen le plus approprié de faire de la théorie et de mettre en place un geste de pensée qui s’accorde avec la culture numérique, permettant d’envisager cette dernière avec un regard critique. Pendant un an et demi (de septembre 2015 à mars 2017), Éric Méchoulan et Marcello Vitali-Rosati ont donc échangé questions et réponses, afin d’essayer d’identifier les caractéristiques du numérique — espaces, temps et enjeux politiques — en continuité avec la tradition du dialogue philosophique.
Mais où est passé le réel ? C’est une question apparemment éternelle qui, dans un contexte contemporain marqué par les médiations numériques (réseaux sociaux, dispositifs de réalité virtuelle, réalité augmentée, etc.), retrouve aujourd’hui un sens et une valeur singuliers. Le mythe de Dibutade, en tant que mythe d’origine d’une forme particulière de représentation, celle du profil, me semble particulièrement adapté pour poser la question du réel aujourd’hui à partir notamment des expériences d’« écriture profilaire » que l’on voit se multiplier sur le web. Sera proposée dans cet article une interprétation de l’écriture de profil avec une approche philosophique que l’auteur appelle « métaontologie ». L’ambition de la métaontologie est de repenser le statut du réel après la déconstruction de ce concept qui a été opérée à la fin du XXe siècle dans ce mouvement de pensée, hétérogène et multiple, auquel on fait référence sous l’étiquette – par ailleurs très problématique – de « post-structuralisme ».
Ce dossier se conçoit comme un champ d’exploration des problématiques ontologiques du numérique, dans une perspective résolument interdisciplinaire, accueillant tout autant la philosophie, l’esthétique, les études littéraires, la sémiologie, la sociologie ou les sciences de l’information et de la communication. Des arts numériques à la littérature hypermédiatique, en passant par les webdocumentaires et les jeux vidéo, de nombreux domaines permettent en effet d’étudier ces dichotomies apparemment périlleuses entre représentation et réalité, réel et imaginaire, fiction et documentaire…
We live primarily in a digital space. The structure of the territory first appears to us by means of the mediation of digital devices, ones predominately owned by large multinational corporations. This situation implies a huge risk – that of remaining passive while private companies organize and develop these spaces for us. How might we avoid this risk ? Is it possible, in the digital age, for us to be central to the production of the spaces in which we live ? How might literature constitute a tool for the production of the spatial imaginary that enables us to reappropriate the places and territories managed by the information industry ? This paper addesses these questions and attempts to show, on the basis of the theory of editorialization, how writing can be a way of producing the space in which we live.
This paper will present and try to demonstrate three main theses: Digital space is actual space, the space in which we live. A space is a set of relationships between objects; in our contemporary society, space is a hybridization of connected and non-connected objects that are structured by writing. In digital space, writing occupies a fundamental position. Writing is the essential material of digital space. The web, which is an important part of digital space, is comprised of writing: everything on the web is written; even images and videos are code. Writing is the actual material of digital space. Digital space is best interpreted and understood using a performative paradigm. Digital space is not a representation of reality; it is, however, a particular way of producing and organizing reality. Two main notions will be proposed to illustrate these theses: the notion of editorialization and the notion of metaontology.
Cet article présente les résultats de huit ans de travail sur le concept d’éditorialisation, réalisés dans le cadre du séminaire international « Écritures numériques et éditorialisation » que j’ai coorganisé avec Nicolas Sauret depuis 2008. Je propose de définir l’éditorialisation comme l’ensemble des dynamiques qui produisent l’espace numérique. Ces dynamiques peuvent être comprises comme les interactions d’actions individuelles et collectives avec un environnement numérique. À partir de cette définition je propose de décrire le fonctionnement des instances d’autorité dans l’espace numérique.
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