Séminaire Human Beings, Humanists and Tinkerer in Digital Spaces

L'expression « humanités numériques » semble presque être un oxymore : peut-on calculer ce qui est humain ? Il semblerait - comme le dirait John Searle - qu'il y ait d'une part ce qui est calculable et relève de la syntaxe pure, et d'autre part ce qui est humain : le sens.

En m'appuyant notamment sur les théories de Karen Barad, je montrerai qu'en réalité la question est mal posée. Ce ne sont pas les êtres humains qui créent les espaces numériques, ce sont plutôt les seconds qui créent les premiers : au lieu de montrer comment les êtres humains construisent des outils, il faut étudier comment les outils construisent des êtres humains. Plus précisément, le sens n'émerge pas de la pensée humaine, mais d'un agencement matériel spécifique, lui aussi composé d'éléments techniques. C'est ce que montre le concept d'éditorialisation, qui tente de rendre compte de l'émergence et de la structuration des espaces numériques et du sens qu'ils produisent.

La question qui reste ouverte est celle qui cherche à savoir quel peut être notre rôle d'humaniste dans ces espaces numériques. Car si le monde numérique est producteur de sens, l'omniprésence d'une poignée de grandes entreprises - les « GAFAM » - risque de nous condamner à une pensée unique.

Comme solution, je propose de ne pas se focaliser sur la rhétorique du fonctionnement et de la performance, mais de s'attarder aux erreurs, aux lenteurs et aux complications, car c'est la seule façon de développer une véritable culture numérique. C'est ce que devraient être les humanités numériques : des gens qui aiment fignoler, démonter, décomposer, bricoler. Le bricolage a probablement toujours été la principale qualité des humanistes - et un humaniste numérique est fondamentalement un bricoleur.